Dans cette fin de journée, comme le soleil s’échappait à ma vue et bientôt l’horizon tout entier, cette cécité obligée me fit ressentir tant d’émoi, qu’elle me donna à penser que peut-être les signes des choses de la vie s’offraient à ceux qui les fuyaient et que le sens du monde courait après ceux qui l’ignoraient. Le ciel perdrait-il ainsi son temps à s’ouvrir à qui se ferme à lui ? Les dieux (s’ils existaient) chercheraient-ils à séduire les mortels qui ne croient pas en eux ? Le mystère dévoilé deviendrait-il l’amant des mécréants ? Le crépuscule ne serait-il qu’un sombre fard pour habiller le vide qui, ainsi maquillé, nous semblerait habité d’un ailleurs mystique, d’un ailleurs Origine ? Les prophètes seraient-ils des aveugles éclairés ? Des fabulateurs avisés ?
Journée particulièrement éprouvante aujourd'hui et ce, depuis deux heures du matin sans interruption. Pourtant, je ne me lamenterai pas, car c’est une histoire trop personnelle, trop douloureuse, et comme ce soir, je respire un peu et vais enfin pouvoir dormir, je préfère clore ce samedi noir avec quelques bleus d’un matin hors du temps à Sidi Bou Saïd.
Une pluie fine et régulière tombe sur le jardin depuis le petit matin, feutre les bruits de l’atelier et ravit sa belle lumière. Comme j’ai décidé de ne pas en être impressionné et que sur cette terre des hommes, j’en connais un qui, depuis des années s’apparente au soleil dès qu’il sourit ; le voilà donc chez lui, en Tunisie, c’est à dire chez moi, en train de faire le clown.
Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, Jean-Charles m'a apporté ce bouquet champêtre cueilli sous la pluie, alors qu'il revenait de chez le boulanger... Ah... la campagne quand même ! ça a du bon, non ?
À coups sûrs, ressortir les vieilleries et les entasser ici a un sens précis, mais je veux l’occulter et croire que c’est simplement comme à la veille d’un voyage, quand on remplit un peu trop ses valises. Ainsi, toutes ces photos d'anciens tableaux qui me touchent encore et témoignent de mes passions d'autrefois sont autant de choses inutiles à transporter. Mais si le voyage s’avère éternel, il faudra bien l'habiller de souvenirs.
Ces deux toiles un peu maladroites sont si anciennes que je ne tente même pas de me souvenir de la date de leur création, pas davantage de savoir dans quelle collection elles peuvent encore palpiter… À cette époque, le ciel avait alors une profondeur inégalable et mes instincts de créateur se mariaient à lui. Je vivais le bonheur absolu d’avoir tant à dire et tant à donner… d'avoir à faire mes preuves pour celui que j'aime toujours. Si déjà dans ces deux petits tableaux, il y avait des ailes (thème récurrent dans mon travail), il y avait aussi des condamnés qui s’aimaient trop et ne savaient envisager la fin… Le temps passe vite et les ténèbres ne sont jamais très loin.
D’avoir tant volé Et si haut Il m’est possible d'abandonner les plumes d’aigle de mes ivresses. D’avoir tant aimé Ici-bas Le seul voyage que j’envisage reste celui de la rencontre d’une faux sous un drap noir pour commencer l’ouvrage mortel de toute une vie.